Réalité virtuelle et prise en charge orthoptique

Virtual reality and orthoptic care

Réalité virtuelle et prise en charge orthoptique

Virtual reality and orthoptic care

P. Fantou ( centre hospitalier privé Saint-Grégoire, Saint-Grégoire ; pôle de médecine physique et de réadaptation Saint-Hélier, Rennes ; CHU de Rennes)

La réalité virtuelle et ses applications sont de plus en plus présentes dans notre vie quotidienne. Elles sont utilisées pour améliorer l’expérience vidéo‑ludique ou cinématographique, mais également, de plus en plus, à des fins médicales.

La réalité virtuelle désigne des technologies permettant de créer un univers artificiel. Elle reste relativement inconnue du grand public jusque dans les années 2000, au cours desquelles les progrès en électronique permettent une réduction du coût et de la taille de ces dispositifs et leur utilisation par un public plus large, à but majoritairement ludique.

La qualité de la réalité virtuelle est définie par sa capacité à immerger le sujet dans le monde virtuel. C’est une expérience immersive qui permet une implication importante du sujet dans la tâche qu’il effectue, lui donnant accès à un environnement entièrement contrôlable car programmé par ordinateur [1].

Fondé en 2018 par 2 orthoptistes, Audrey Persillon et Thomas Didier, Eyesoft propose dans sa première version un logiciel de rééducation orthoptique basé sur la réalité virtuelle. Dans sa version la plus récente, EMAA Pro 2 (figure 1) , le casque de réalité virtuelle (Pico Neo 2 Eye®) est équipé d’un eye-tracker Tobii, assurant le suivi en temps réel de la position des yeux du patient. Cela donne au praticien la possibilité d’évaluer certains paramètres de la vision binoculaire, mais également au patient d’interagir avec l’environnement virtuel. Cette addition, longtemps attendue par les utilisateurs de la version précédente, fait de ce dispositif une solution à la fois de rééducation et d’évaluation.

La vision binoculaire est rendue possible par l’association de tests immersifs et d’une analyse de l’eye-tracker, réalisée par des algorithmes qui font l’objet d’un brevet détenu par Eyesoft.

La vision stéréoscopique peut être mesurée grâce à un test qui présente des formes simples (rond, carré, triangle), sur le principe des tests à points aléatoires, comparable au test de Lang. Le patient doit indiquer la forme qu’il perçoit. La présentation est répétée pour des acuités stéréo­ scopiques de plus en plus faibles (de 1 000 à 30 secondes d’arc).

L’eye-tracker permet de visualiser en temps réel les tracés oculo­ métriques des tests de fixation, des poursuites et des saccades, et de consulter par la suite les enregistrements.

L’évaluation des phories à l’aide de l’eye-tracker se fonde sur le principe de l’examen sous écran, en présentant alternativement une image à un œil et une image floutée à l’autre, comme dans l’examen sous écran translucide de Spielmann.

L’évaluation du punctum proximum de convergence et des amplitudes de fusion présente en temps réel la position des yeux par rapport à une courbe oculo­ motrice idéale. Le point de bris peut être évalué objectivement, à l’aide de la courbe, et subjectivement, par réponse du patient, permettant ainsi de détecter une éventuelle neutralisation.

En cas de diagnostic d’un trouble de la vision binoculaire, une prise en charge rééducative pourra être effectuée aussi bien avec la première que la deuxième version d’EMAA Pro. L’application propose différents modules d’exercice avec, pour chacun, plusieurs niveaux de difficulté. La séance est entièrement programmable et adaptable en fonction du patient et de son avancement dans la rééducation : les modules que l’on désire effectuer sont sélectionnés en début de séance, ainsi que leur niveau de difficulté. Durant les différents exercices, l’orthoptiste peut surveiller la position des yeux du patient grâce à l’eye-tracker. L’application propose une gamme d’entraînements globalement complète, incluant des exercices :

・d’oculomotricité : coordination tête/œil, poursuites, saccades ;

・de convergence volontaire (rappelant les mires de la vision simultanée au synoptophore) ;

・de convergence proximale, avec les modules “punctum proximum de convergence” (figure 2) et “diplopie physiologique” ;

・de convergence fusionnelle, avec le module “fusion” et le module “fusion stéréo” (rappelant respectivement les mires de vision binoculaire et de vision stéréoscopique au synoptophore).

Après chaque séance, l’orthoptiste peut retrouver un résumé des exercices réalisés ainsi qu’une analyse du progrès du patient entre chaque séance. Deux univers virtuels sont disponibles : un sur le thème de l’espace et l’autre sur un thème aquatique. Les patients sont enthousiasmés à l’idée d’effectuer leur rééducation en réalité virtuelle, méthode qui leur paraît plus moderne et ludique, ce qui améliore leur implication dans leur prise en charge.

Figure 2. Exemple de visualisation des tracés lors d’un exercice de punctum proximum de convergence.

Bien que très complète, l’application EMAA Pro 2­ présente quelques limites liées au recours à l’emploi de la réalité virtuelle. Le manuel d’utilisation inclut quelques recommandations de bon usage, dont des mises en garde pour les patients ­ souffrant de claustrophobie ou étant sujets à la cyber­ cinétose (malaise ressenti en réalité virtuelle que l’on pourrait ­ rapprocher du mal des transports), mais également pour ceux ayant des antécédents de troubles vestibulaires. Il faut toutefois noter que les patients ne décrivent pas de sensation de malaise à l’utilisation d’EMAA Pro, probablement du fait de la courte exposition, de la qualité de l’image et d’un dynamisme minime des animations [2]. L’eye-tracker nécessite un calibrage initial, dont la qualité dépend de la capacité du patient à le réaliser correctement. Enfin, du fait de leur réalisation en réalité virtuelle, les mesures ne sont pas toujours directement comparables à celles obtenues à l’aide des tests orthoptiques ­conventionnels. La distance focale très courte des lentilles de Fresnel intégrées au casque neutralise partiellement l’accommodation. Cela a pour effet de minorer le rôle de la convergence accommodative lors de l’évaluation et des exercices ; cependant, cela permet aussi de limiter la sur­ accommodation parfois associée à la rééducation­ orthoptique.