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Télésoin orthoptique en France : cadre légal, revue de la littérature et indications

Orthoptic telecare in France: legal framework, literature review and indications

Télésoin orthoptique en France : cadre légal, revue de la littérature et indications

Orthoptic telecare in France: legal framework, literature review and indications

Pierre Fantou (Orthoptiste, Conseiller scientifique et clinique en recherche et développement chez Eyesoft SAS). 292, route de Toulouse, 33130 Bègles, France.

Cet article a pour objectif de rappeler et d’expliquer le cadre légal d’exercice du télésoin orthoptique. Dans un second temps, une rapide revue de la littérature scientifique internationale permettra de dresser un panorama des différents usages expérimentés. Puis, différentes indications du télésoin orthoptique seront évoquées. Enfin, des pistes de réflexions concernant une meilleure utilisation du télésoin dans la pratique orthoptique française sont ensuite exposées et les freins à son développement discutés.

© 2024 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.


This article aims to recall and explain the legal framework for practicing orthoptics telecare. Secondly, a quick review of the international scientific literature will provide an overview of the different uses experienced. Then, different indications for orthoptic telecare will be discussed. Finally, avenues for reflection concerning better use of telecare in French orthoptic practice are then presented and the obstacles to its development discussed.

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La dernière décennie a été marquée par des évolutions réglementaires majeures pour l’orthoptie et elle n’est notamment pas en reste dans le domaine de la télémédecine : dépis-tage de la rétinopathie diabétique, RNO, RNM, téléexpertise… La publication le 3 juin 2021 du décret no 2021-707 [1] a remplacé le terme « télémédecine » par celui de « télé-santé » dans le Code de la Santé Publique [2]. Il permet d’ouvrir le champ de la télémédecine, qui impliquait jusqu’alors nécessairement un professionnel médical, à l’ensemble des professionnels de santé, en incluant donc les professions paramédicales. Le télésoin est défini par l’article L. 6316-2 du CSP [2] comme : « une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication [qui] met en rapport un patient avec un ou plu-sieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux ». Pour les orthoptistes, il a d’abord été autorisé de manière dérogatoire dans le cadre de la pandémie de Covid 19 en 2020 [3] puis a bénéficié de deux prolongations [4,5] avant d’entrer dans le droit commun suite à l’arrêté du 3 juin 2021 [6]. 

Les conditions de mise en pratique du télésoin sont décrites dans les articles R. 6316-2 à 6 [7] pour le cas général et a fait l’objet de 
recommandations de la part de la Haute Autorité de Santé (HAS) [8]. De façon synthétique :

・le professionnel de santé juge de la pertinence du recours au télésoin et doit être identifié lors de cet acte tout comme le patient ;

・chaque acte de télésoin doit donner lieu à l’inscription d’un compte rendu de séance dans le dossier du patient qui contient la date, l’heure et la nature des soins effectués ;

・le professionnel de santé doit être formé à l’utilisation de l’outil et ce dernier doit être conforme aux attendus en termes d’interopérabilité et de sécurité (respect du RGPD, stockage sur un HDS. . .). Le professionnel de santé doit s’authentifier avec des identifiants qui lui sont propres.

Pour le cas particulier des orthoptistes c’est l’article 1er de l’Avenant 14 du 28 octobre 2021 [9] qui règle les conditions de recours au télésoin orthoptique et les précise. Il permet de décrire les notions importantes à respecter lors de celui-ci :

・le recours au télésoin relève d’une décision partagée et peut concerner l’ensemble des patients préalablement connus par l’orthoptiste cependant les actes de bilans ne peuvent pas être réalisés par ce biais ;

・l’orthoptiste ne peut exercer une activité exclusive de télésoin (les actes de télésoin ne doivent pas dépasser 20 % de l’activité globale annuelle), doit respecter le principe de territorialité (le recours à des soins en présentiel doit être possible) et être en mesure de proposer une alternative au télésoin qui soit adaptée au patient (soin à domicile, prescription médicale de transport. . .) ;

・le télésoin est obligatoirement réalisé en vidéotransmis-sion dans un lieu qui permet le respect de la confidentia-lité (aussi bien pour le patient que pour l’orthoptiste) et des conditions adaptées au soin. Le rapport de l’HAS précise que l’utilisation du téléphone ne doit se faire qu’en dernier recours (patient malvoyant, en zone blanche. . .) ;

・les actes de télésoin orthoptique sont cotés de la même façon que les actes classiques à l’aide des lettres clés TMY. La présence d’un accompagnant dans le cas des patients mineurs est nécessaire (personne dépositaire de l’autorité parentale ou majeur autorisé) et recommandée dans le cas de patients en situation de handicap (présence d’un aidant), non-francophone (présence d’un interprète…

A cela, on peut plus spécifiquement ajouter quelques recom-mandations propres aux outils de rééducation utilisés dans le cadre du télésoin. Idéalement, ces outils doivent permettre :

・de contrôler l’exposition en restreignant l’accès de l’outil aux activités de télésoin ;

・de contrôler le contenu proposé au patient afin de l’adapter au contexte de la prise en charge ; de suivre et tracer l’évolution en documentant dans le dossier patient ses performances lors des séances ;

・des interactions en permettant par exemple d’adapter en temps réel la nature et les difficultés des exercices au niveau du patient. 


La littérature scientifique concernant le télésoin orthoptique est peu abondante et ne contient aucune référence à la prise en charge des troubles de la vision binoculaire, de l’amblyopie ou des troubles spécifiques des apprentissages. Aucune publication française n’a été retrouvée sur PubMed. Une fois exclus les articles concernant la prescription d’une correction optique ou la surveillance d’une pathologie ophtalmologique, les articles étudiant le télésoin concernent majoritairement la prise en charge des patients déficients visuels [10–15] et conclut à une utilisation de cette pratique particulièrement chez des sujets jeunes ou d’âge moyen, avec pour objectif l’apprentissage de l’utilisation des dispositifs grossis-sants et ce avec une efficacité similaire à la prise en charge en cabinet. 

Télésoin orthoptique : illustration à travers un cas clinique de rééducation avec EMAA Home

Orthoptic telecare: Illustration through a clinical case of rehabilitation with EMAA Home

Télésoin orthoptique : illustration à travers un cas clinique de rééducation avec EMAA Home

Orthoptic telecare: Illustration through a clinical case of rehabilitation with EMAA Home

Salomé Maridat et Marie Rizzetto Orthoptistes libérales, 4, rue Étienne-Huyard, 33300 Bordeaux, France


Ce cas clinique permet d’illustrer la manière dont le télésoin peut s’intégrer dans la pratique orthoptique en 2023. C’est aussi l’occasion de présenter l’outil EMAA Home qui permet une rééducation en télésoin. La pratique du télésoin est encore balbutiante en France mais promet de révolutionner la façon dont les orthoptistes prennent en charge les troubles de la vision binoculaire et qui sait peut-être d’autres troubles à l’avenir.

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This clinical case illustrates how telecare can be integrated in orthoptic practice in 2023. It is also an opportunity to present the EMAA Home tool which allows telecare rehabilitation. Telecare is still an emerging practice in France but promises to revolutionize the way orthoptists treat binocular vision disorders and who knows, maybe other disorders in the future. 

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Depuis 2020 et la pandémie de Covid-19, les orthoptistes ont l’autorisation d’exercer en télésoin [1,2] Cela signifie qu’un acte peut être réalisé sans que le patient soit en pré-sence du praticien. L’exercice du télésoin est encadré de manière stricte par la loi et a bénéficié de recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé (HAS) en 2020 et 2021 (pour plus de détails, voir l’article Télésoin orthoptique en France : cadre légal et recommandations de bonnes pratiques dans ce même numéro de la Revue francophone d’Orthoptie). L’objectif de ce cas clinique est d’exposer les aspects pratiques du recours au télésoin ainsi que de présenter un outil de télésoin : EMAA Home. 


EMAA Home est un dispositif médical numérique de classe I qui permet la rééducation orthoptique en télésoin. Il est commercialisé par la société Eyesoft depuis 2021. En s’appuyant sur la réalité virtuelle utilisée à l’aide d’un dispositif stéréoscopique (visio-casque), cet outil permet la prise en charge à distance de patients présentant des troubles des vergences, des troubles de l’orientation du regard, une neutralisation ou même des difficultés visuo-attentionnelles.

L’application EMAA Home s’utilise avec le casque Pico G2 qui est fourni au patient par l’orthoptiste réalisant la rééducation. Ce prêt fait le plus souvent l’objet d’un chèque de caution afin de couvrir les éventuels dégâts ou vols de matériel. Lors d’une séance de rééducation en télésoin, le patient se connecte à son espace patient à l’aide d’un code qui lui est propre. De son côté, l’orthoptiste pro-gramme la séance depuis son cabinet et accueille le patient en visioconférence. En cours de séance, l’orthoptiste et le patient peuvent échanger, ce qui permet à l’orthoptiste d’adapter la difficulté des exercices au niveau atteint par le patient. En fin de rééducation, les données concernant la séance sont stockées de manière sécurisée dans le dossier du patient et un compte rendu peut être exporté si nécessaire (Tableau I). 

PoursuitesPermet d’exercer les mouvements de poursuite oculaire. Le patient suit des yeux une cible qui se déplace lentementNiveau 1 à 5 + mode personnalisé
SaccadesPermet d’exercer les mouvements de saccade oculaire. Le patient réalise des mouvements rapides des yeux entre deux ciblesNiveau 1 à 3 + mode personnalisé
Diplopie physiologiquePermet d’exercer les mouvements de vergence dans l’espace. Le patient fixe alternativement une cible proche et une cible plus éloignéeNiveau 1 à 5 + mode personnalisé
CoordinationPermet d’exercer la coordination oculocéphalique ou oculomanuelle
(à l’aide d’une manette). Le patient doit orienter le regard et la tête (et la main) vers des cibles qui apparaissent de manière aléatoire en vision périphérique. Cet exercice peut aussi servir à travailler
l’exploration dans l’espace
Niveau 1 à 5 + mode personnalisé
PPC VRPermet d’exercer le réflexe de convergence et d’améliorer le punctum proximum de convergence. Le patient doit fixer une cible
qui se rapproche de lui et essayer de la maintenir simple
Niveau 1 à 5 + mode personnalisé
Convergence VRPermet d’exercer les mouvements de vergence sur trois modes différents :
– Volontaire, correspond aux mires de 1er degré du synoptophore
– Fusionnel, correspond aux mires de 2nd degré du synoptophore Stéréo, correspond aux mires de 3e degré du synoptophore
– Le patient doit maintenir une image binoculaire dont la disparité augmente progressivement (en convergence ou en divergence)
Niveau 1 à 8 + mode personnalisé
Divergence VRNiveau 1 à 4 + mode personnalisé
Les différents niveaux évoqués ici sont des exercices avec des paramètres prédéfinis, plus le niveau augmente plus la difficulté est importante. Le mode personnalisé permet quant à lui d’agir sur tous les paramètres de l’exercice (par exemple : taille et distance des mires de fixation, rapidité du déplacement des objets, etc.). Cela permet d’adapter l’exercice au niveau du patient, ce qui est particulièrement utile avec les patients débutants mais également avec les patients en fin de rééducation chez qui on peut vouloir proposer des exercices plus exigeants.


Ce cas est représentatif de la plus-value que peuvent apporter les prises en charge en télésoin grâce à EMAA Home. Mme D, 32 ans, souffre de plusieurs pathologies assez handicapantes dans son quotidien. Elle présente une hypersomnie idiopa-thique centrale sévère, une hypothyroïdie, et, au niveau visuel, un kératocône frustre de l’oeil droit.

Elle se plaint de vision floue de près, notamment en fin de journée ou à la fixation prolongée, et d’une importante fatigue visuelle. Elle porte ponctuellement depuis plusieurs années la correction suivante : +0,50(-0,75)1758 / +0,50(-0,75)1808. Sur le plan moteur :

・elle est orthophorique avec une motilité normale, un réflexe de convergence douloureux, un punctum proximum de convergence à 5 cm et une motricité conjuguée douloureuse.

Sur le plan sensoriel :

・son acuité visuelle est à 10/10 P2 aux deux yeux avec sa correction qui semble bien adaptée après réalisation d’une réfraction subjective ;

・l’acuité stéréoscopique est testée à 120 » au TNO confirmant la présence d’une correspondance rétinienne normale ;

・ses amplitudes de fusion sont inférieures aux normes (C’25 D refusion 20 D ; D’10 D ; C16 D refusion 10 D ; D4 D), tant en divergence qu’en convergence, de près comme de loin avec un très important inconfort, des sensations de tiraillements et une vision rapidement floue qui signe un recours excessif et précoce à la convergence accommodative ;

・la flexibilité accommodative évaluée au Rock accommodatif est inférieure aux normes (entre 6 et 7 cycles par minute) et la mise en jeu accommodative sur la face  2,00 est particulièrement lente.

Dans un premier temps, un port constant de la correction optique est recommandé afin d’évaluer la part des signes fonctionnels liés à l’amétropie.Devant la persistance des signes fonctionnels, nous lui pro-posons une prise en charge orthoptique de son déséquilibre binoculaire accompagnée d’un travail de sa flexibilité accommodative. Au départ, elle se rend aux séances en transport en commun, mais, du fait de ses pathologies, elle fait fréquemment des malaises qui la poussent à annuler beaucoup de séances à la dernière minute, elle choisit par la suite de se faire accompagner et après quelques séances plus régulières, elle note une nette amélioration de ses plaintes. Néanmoins, il devient rapidement compliqué d’organiser les déplacements récurrents au cabinet. 


En réponse à ses difficultés de déplacement, un essai de prise en charge en télésoin est proposé à Mme D à l’aide du logiciel EMAA Home. La première séance avec le casque de réalité virtuelle se déroule au cabinet, ce qui permet d’établir un premier plan de rééducation et de la familiariser avec les différents exercices proposés par EMAA Home, ceux-ci sont décrits brièvement dans le Tableau I. Dans un premier temps, des exercices de vergence en mode personnalisé sont pro-grammés afin de pouvoir l’accompagner progressivement et de la familiariser avec les ressentis attendus. La divergence ne lui pose pas de difficulté particulière lors de cette première séance et elle monte jusqu’à 4D. La convergence est décrite comme douloureuse, une augmentation très progressive du niveau des exercices est donc prévue lors des séances à domi-cile. L’exercice de diplopie physiologique est proposé là aussi en mode personnalisé afin de tester les différentes distances avec différentes tailles de mire tout en assurant la bonne compréhension de l’exercice. Les exercices de motricités conjuguées tel que la poursuite et les saccades sont bien accueillis et Mme D les trouve « confortables » car elle n’est pas déstabilisée par le flou en vision périphérique. Enfin, le PPC est travaillé tout en restant sur une distance éloignée (niveau 1) car cet exercice est pour le moment très inconfor-table pour Mme D.

Il est convenu d’une première série de trois séances en télé-soin qu’elle réalisera chez elle. Pour cela, un casque lui est prêté en échange d’un chèque de caution (non encaissé et détruit à la fin de la prise en charge). Concernant le plan de rééducation, le mode personnalisé est conservé pour la convergence et la diplopie physiologique, ce qui permet de s’adapter à son niveau de fatigue. Le reste des exercices est proposé sur les niveaux 1 et 2 mais pas au-delà, ils sont généralement réussis lors de cette série de trois séances. Lors des séances en télésoin, Mme D. s’installe assise avec les deux pieds bien posés au sol, soit à sa table à manger lorsqu’elle est à domicile ou à son bureau lorsqu’elle est sur son lieu de travail. Elle se connecte via l’interface EMAA du casque grâce à un code patient qui lui a été fourni auparavant et elle peut s’aider d’une notice patient qui regroupe les infor-mations techniques (utilisation du casque VR, navigation dans le logiciel EMAA, connexion au wifi, etc.). Comme au cabinet, au début de la séance, un point en visio est fait avec elle sur ses plaintes, ses améliorations et ses ressentis par rapport à la dernière séance, les échanges ont lieu en temps réel, ce qui permet d’adapter le contenu des séances (Tableau I). Devant son enthousiasme, la rééducation a été terminée par ce biais. La rééducation en télésoin peut être facturée soit en tiers payant intégral ou directement par patient lorsqu’il se rend au cabinet. Chaque séance de rééducation des vergences effectuée en télésoin est cotée acte réalisé en télésoin (TMY) 6,5 pour une valeur identique à celle de l’acte réalisé au cabinet (AMY) 6,5 (16,90€) [2].

Discussion

Le cas de Mme D. est un parfait exemple de l’intégration du télésoin dans le parcours de soin orthoptique du patient. En effet, la mise en oeuvre du télésoin chez cette patiente est tout à fait pertinente puisque Mme D est connue de l’orthoptiste, qu’elle a déjà eu l’occasion d’être rééduquée avec le logiciel utilisé pour le télésoin, que le traçage et la sécurité de ses données sont assurés par l’utilisation d’EMAA Home et que l’orthoptiste peut, le cas échéant, proposer une alternative au télésoin. La communication avec Mme D. a pu être assurée en visio dans la majorité des cas avec une possibilité d’utiliser le téléphone en cas de difficulté de connexion. Du fait de ses pathologies, il y a parfois eu quelques modifications de l’horaire de séance mais cela reste beaucoup plus facile à gérer que les annulations de dernière minute et a permis d’éviter un certain nombre d’annulations sur des créneaux réservés à la rééducation au cabinet.

La prise en charge orthoptique en télésoin a permis d’apporter une réponse adaptée à Mme D. qui présente d’importantes difficultés de déplacement, une santé fragile, des malaises fréquents, une grande fatigabilité, etc., problèmes de santé qui ne lui auraient sans doute pas permis d’investir pleinement une rééducation en présentiel. Avec le télésoin, il lui est plus facile de prévoir la réalisation de la séance sur les horaires de travail et elle, qui est fatigable, apprécie de ne pas avoir à réaliser des trajets hebdomadaires.

Aujourd’hui, ses signes fonctionnels se sont nettement amé-liorés et elle ressent un meilleur confort dans ses activités de la vie quotidienne. Entre chaque série de trois à quatre séances, elle a été revue au cabinet afin de noter sa progression sur des exercices à la barre de prisme, au Mawas et au synoptophore numérique. Bien sûr, la prise en charge a été un peu plus longue que ce qu’elle aurait été pour un patient moins fatigable mais il semble qu’une rééducation au cabinet aurait été d’autant plus allongée en raison des annulations répétées. En ce sens, EMAA Home est un outil qui permet d’assurer une prise en charge orthoptique en télésoin dans le respect du cadre légal tel que défini dans le CSP tout en répondant aux recommandations de bonnes pratiques publiées par la HAS. 

Il convient toutefois de relever que l’utilisation du télésoin doit pouvoir s’appuyer sur une connexion internet stable permet-tant à la fois la communication avec le patient et l’utilisation du logiciel de rééducation. Bien que la couverture internet en France soit encore inégale, le Plan France très haut débit, initié en 2013, vise à assurer une couverture très haut débit sur l’ensemble du territoire d’ici 2025. De plus, la couverture progressive en 5G devrait permettre d’assurer une alternative au réseau de fibre optique en cas de défaillance. Ces aspects qui peuvent paraître un peu techniques et éloignés de la pratique orthoptique sont néanmoins les bases qui permettront de développer une offre de télésoin orthoptique pérenne.

L’offre de télésoin orthoptique en France reste cependant réduite. Les causes sont probablement multifactorielles et on peut évoquer le fait que la pratique est encore récente et que l’offre de logiciels est pour l’instant limitée.

Mais aussi, le TMY est facturé au même coût qu’un AMY, ce qui ne tient pas compte du fait que les équipements nécessaires à l’activité de télésoin représentent un surcoût pour l’orthoptiste. Le forfait d’aide à la modernisation et à l’informatisation des cabinets (FAMI) peut être perçu annuellement. Une évolution de la valeur des actes TMY pourrait être une piste pour favoriser le développement du télésoin en France. Enfin, une autre piste serait celle de la prise en charge par la sécurité sociale des dispositifs médicaux utilisés dans le cadre du télésoin, ce qui allégerait considérablement le coût pour l’orthoptiste. 

Réalité virtuelle et prise en charge orthoptique

Virtual reality and orthoptic care

Réalité virtuelle et prise en charge orthoptique

Virtual reality and orthoptic care

P. Fantou ( centre hospitalier privé Saint-Grégoire, Saint-Grégoire ; pôle de médecine physique et de réadaptation Saint-Hélier, Rennes ; CHU de Rennes)

La réalité virtuelle et ses applications sont de plus en plus présentes dans notre vie quotidienne. Elles sont utilisées pour améliorer l’expérience vidéo‑ludique ou cinématographique, mais également, de plus en plus, à des fins médicales.

La réalité virtuelle désigne des technologies permettant de créer un univers artificiel. Elle reste relativement inconnue du grand public jusque dans les années 2000, au cours desquelles les progrès en électronique permettent une réduction du coût et de la taille de ces dispositifs et leur utilisation par un public plus large, à but majoritairement ludique.

La qualité de la réalité virtuelle est définie par sa capacité à immerger le sujet dans le monde virtuel. C’est une expérience immersive qui permet une implication importante du sujet dans la tâche qu’il effectue, lui donnant accès à un environnement entièrement contrôlable car programmé par ordinateur [1].

Fondé en 2018 par 2 orthoptistes, Audrey Persillon et Thomas Didier, Eyesoft propose dans sa première version un logiciel de rééducation orthoptique basé sur la réalité virtuelle. Dans sa version la plus récente, EMAA Pro 2 (figure 1) , le casque de réalité virtuelle (Pico Neo 2 Eye®) est équipé d’un eye-tracker Tobii, assurant le suivi en temps réel de la position des yeux du patient. Cela donne au praticien la possibilité d’évaluer certains paramètres de la vision binoculaire, mais également au patient d’interagir avec l’environnement virtuel. Cette addition, longtemps attendue par les utilisateurs de la version précédente, fait de ce dispositif une solution à la fois de rééducation et d’évaluation.

La vision binoculaire est rendue possible par l’association de tests immersifs et d’une analyse de l’eye-tracker, réalisée par des algorithmes qui font l’objet d’un brevet détenu par Eyesoft.

La vision stéréoscopique peut être mesurée grâce à un test qui présente des formes simples (rond, carré, triangle), sur le principe des tests à points aléatoires, comparable au test de Lang. Le patient doit indiquer la forme qu’il perçoit. La présentation est répétée pour des acuités stéréo­ scopiques de plus en plus faibles (de 1 000 à 30 secondes d’arc).

L’eye-tracker permet de visualiser en temps réel les tracés oculo­ métriques des tests de fixation, des poursuites et des saccades, et de consulter par la suite les enregistrements.

L’évaluation des phories à l’aide de l’eye-tracker se fonde sur le principe de l’examen sous écran, en présentant alternativement une image à un œil et une image floutée à l’autre, comme dans l’examen sous écran translucide de Spielmann.

L’évaluation du punctum proximum de convergence et des amplitudes de fusion présente en temps réel la position des yeux par rapport à une courbe oculo­ motrice idéale. Le point de bris peut être évalué objectivement, à l’aide de la courbe, et subjectivement, par réponse du patient, permettant ainsi de détecter une éventuelle neutralisation.

En cas de diagnostic d’un trouble de la vision binoculaire, une prise en charge rééducative pourra être effectuée aussi bien avec la première que la deuxième version d’EMAA Pro. L’application propose différents modules d’exercice avec, pour chacun, plusieurs niveaux de difficulté. La séance est entièrement programmable et adaptable en fonction du patient et de son avancement dans la rééducation : les modules que l’on désire effectuer sont sélectionnés en début de séance, ainsi que leur niveau de difficulté. Durant les différents exercices, l’orthoptiste peut surveiller la position des yeux du patient grâce à l’eye-tracker. L’application propose une gamme d’entraînements globalement complète, incluant des exercices :

・d’oculomotricité : coordination tête/œil, poursuites, saccades ;

・de convergence volontaire (rappelant les mires de la vision simultanée au synoptophore) ;

・de convergence proximale, avec les modules “punctum proximum de convergence” (figure 2) et “diplopie physiologique” ;

・de convergence fusionnelle, avec le module “fusion” et le module “fusion stéréo” (rappelant respectivement les mires de vision binoculaire et de vision stéréoscopique au synoptophore).

Après chaque séance, l’orthoptiste peut retrouver un résumé des exercices réalisés ainsi qu’une analyse du progrès du patient entre chaque séance. Deux univers virtuels sont disponibles : un sur le thème de l’espace et l’autre sur un thème aquatique. Les patients sont enthousiasmés à l’idée d’effectuer leur rééducation en réalité virtuelle, méthode qui leur paraît plus moderne et ludique, ce qui améliore leur implication dans leur prise en charge.

Figure 2. Exemple de visualisation des tracés lors d’un exercice de punctum proximum de convergence.

Bien que très complète, l’application EMAA Pro 2­ présente quelques limites liées au recours à l’emploi de la réalité virtuelle. Le manuel d’utilisation inclut quelques recommandations de bon usage, dont des mises en garde pour les patients ­ souffrant de claustrophobie ou étant sujets à la cyber­ cinétose (malaise ressenti en réalité virtuelle que l’on pourrait ­ rapprocher du mal des transports), mais également pour ceux ayant des antécédents de troubles vestibulaires. Il faut toutefois noter que les patients ne décrivent pas de sensation de malaise à l’utilisation d’EMAA Pro, probablement du fait de la courte exposition, de la qualité de l’image et d’un dynamisme minime des animations [2]. L’eye-tracker nécessite un calibrage initial, dont la qualité dépend de la capacité du patient à le réaliser correctement. Enfin, du fait de leur réalisation en réalité virtuelle, les mesures ne sont pas toujours directement comparables à celles obtenues à l’aide des tests orthoptiques ­conventionnels. La distance focale très courte des lentilles de Fresnel intégrées au casque neutralise partiellement l’accommodation. Cela a pour effet de minorer le rôle de la convergence accommodative lors de l’évaluation et des exercices ; cependant, cela permet aussi de limiter la sur­ accommodation parfois associée à la rééducation­ orthoptique.

Eyesoft, la réalité virtuelle au service de l’orthoptie

Eyesoft, virtual reality for orthoptics

Eyesoft, la réalité virtuelle au service de l’orthoptie

Eyesoft, virtual reality for orthoptics

Audrey Persillon (Orthoptiste, Co-fondateur d’Eyesoft) et Thomas Didier (Orthoptiste, Co-fondateur d’Eyesoft) 76, boulevard du Président Franklin Roosevelt, 33800 Bordeaux, France

Eyesoft, fondée en 2018 par deux orthoptistes, propose un dispositif médical innovant intégrant l’eyetracking dans un casque de réalité virtuelle. Utilisable en cabinet d’orthoptie comme en télésoin, cette nouvelle approche de la rééducation allie technologie, efficacité, et aspect ludique ! L’interface ergonomique, dédiée au praticien, permet de suivre les résultats et progrès des patients en temps réel.

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Eyesoft, founded in 2018 by two orthoptists, offers an innovative medical device integrating eyetracking into a virtual reality headset. Usable in orthoptic practice as well as in remote care, this new approach to reeducation combines technology, efficiency, and playfulness! The ergonomic interface, dedicated to the orthoptist, enables to monitor results and progress of patients in real time.

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Ces dernières années, les professionnels de la vision ont constaté une explosion des phénomènes de fatigue visuelle et la généralisation des signes fonctionnels associés : céphalées, vertiges, vision floue, difficultés d’adaptation aux lunettes, etc. L’évolution de nos habitudes visuelles en est la principale cause. Désormais, notre vison est sur-sollicitée par nos activités professionnelles et nos loisirs, notamment par les écrans auxquels nous sommes exposés quotidiennement : ordinateurs, tablettes, smartphones en plus de la télévision.

Plus de dix heures par jour, c’est le temps moyen passé devant un écran chez les 16-24 ans selon le baromètre publié en juin 2019 par l’Asnav (Association pour l’amélioration de la vue), de même 75 % des jeunes seraient régulièrement victimes de fatigue visuelle. En conséquence, outre les troubles réfractifs, de plus en plus de déséquilibres oculomoteurs se révèlent, et les demandes de prise en charge orthoptique ont nettement augmentées.

Si la France compte plus de 4000 orthoptistes, ils sont malheureusement trop souvent écartés du parcours de soin de première intention. Le premier réflexe de patients souffrant de ces signes fonctionnels chroniques, est bien souvent d’avoir recours aux médicaments. Beaucoup de médecins généralistes, trop peu sensibilisés aux éventuelles causes visuelles ou oculomotrices, privilégient encore des examens complémentaires ou des consultations chez d’autres spécialistes.

La rééducation orthoptique, reconnue et efficace souffre d’une image monotone et contraignante, avec des outils qui ont peu évolué depuis de nombreuses années. Ceci se traduit par des prises en charges non effectuées ou abandonnées après le bilan, par des patients en manque de motivation, dans une société où l’optimisation du temps s’est imposée. De plus, peu d’outils orthoptiques permettent le télésoin, malgré une forte demande, en particulier dans le contexte sanitaire actuel de la COVID-19 : le télésoin pouvant être complémentaire à une prise en charge « classique ».

Avec plus de 10 ans d’exercice en libéral menant à ce constat, l’idée première des fondateurs d’Eyesoft était de moderniser la pratique de l’orthoptie grâce à la réalité virtuelle : utiliser la technologie 3D pour rendre la rééducation ludique et motiver le patient, tout en objectivant les mesures et le suivi oculaire grâce à l’eyetracking !

En tant qu’orthoptistes, leur objectif était avant tout d’améliorer la prise en charge du patient et son parcours de soin, mais également d’optimiser le travail de l’orthoptiste et de moderniser la perception de son expertise. Un autre objectif, devenu majeur dans le contexte sanitaire de la COVID-19, a été de permettre la rééducation orthoptique en télésoin, officiellement pérennisé par l’Assurance Maladie depuis juin 2021.

Après plusieurs années de recherches sur différentes technologies, puis un brevet déposé en 2018, les équipes d’Eyesoft ont mis au point l’outil EMAA proposé aux orthoptistes depuis janvier 2021.

Figure 1. Schéma de l’utilisation de l’outil Eyesoft par un patient et
son orthoptiste.