Auteur
Pierre Fantou (Orthoptiste, Conseiller scientifique et clinique en recherche et développement chez Eyesoft SAS). 292, route de Toulouse, 33130 Bègles, France.
Résumé
Cet article a pour objectif de rappeler et d’expliquer le cadre légal d’exercice du télésoin orthoptique. Dans un second temps, une rapide revue de la littérature scientifique internationale permettra de dresser un panorama des différents usages expérimentés. Puis, différentes indications du télésoin orthoptique seront évoquées. Enfin, des pistes de réflexions concernant une meilleure utilisation du télésoin dans la pratique orthoptique française sont ensuite exposées et les freins à son développement discutés.
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SUMMARY
This article aims to recall and explain the legal framework for practicing orthoptics telecare. Secondly, a quick review of the international scientific literature will provide an overview of the different uses experienced. Then, different indications for orthoptic telecare will be discussed. Finally, avenues for reflection concerning better use of telecare in French orthoptic practice are then presented and the obstacles to its development discussed.
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introduction
La dernière décennie a été marquée par des évolutions réglementaires majeures pour l’orthoptie et elle n’est notamment pas en reste dans le domaine de la télémédecine : dépis-tage de la rétinopathie diabétique, RNO, RNM, téléexpertise… La publication le 3 juin 2021 du décret no 2021-707 [1] a remplacé le terme « télémédecine » par celui de « télé-santé » dans le Code de la Santé Publique [2]. Il permet d’ouvrir le champ de la télémédecine, qui impliquait jusqu’alors nécessairement un professionnel médical, à l’ensemble des professionnels de santé, en incluant donc les professions paramédicales. Le télésoin est défini par l’article L. 6316-2 du CSP [2] comme : « une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication [qui] met en rapport un patient avec un ou plu-sieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux ». Pour les orthoptistes, il a d’abord été autorisé de manière dérogatoire dans le cadre de la pandémie de Covid 19 en 2020 [3] puis a bénéficié de deux prolongations [4,5] avant d’entrer dans le droit commun suite à l’arrêté du 3 juin 2021 [6].
CADRE LÉGAL ET RECOMMANDATIONS DE BONNES PRATIQUES LORS DU RECOURS AU TÉLÉSOIN
Les conditions de mise en pratique du télésoin sont décrites dans les articles R. 6316-2 à 6 [7] pour le cas général et a fait l’objet de
recommandations de la part de la Haute Autorité de Santé (HAS) [8]. De façon synthétique :
・le professionnel de santé juge de la pertinence du recours au télésoin et doit être identifié lors de cet acte tout comme le patient ;
・chaque acte de télésoin doit donner lieu à l’inscription d’un compte rendu de séance dans le dossier du patient qui contient la date, l’heure et la nature des soins effectués ;
・le professionnel de santé doit être formé à l’utilisation de l’outil et ce dernier doit être conforme aux attendus en termes d’interopérabilité et de sécurité (respect du RGPD, stockage sur un HDS. . .). Le professionnel de santé doit s’authentifier avec des identifiants qui lui sont propres.
Pour le cas particulier des orthoptistes c’est l’article 1er de l’Avenant 14 du 28 octobre 2021 [9] qui règle les conditions de recours au télésoin orthoptique et les précise. Il permet de décrire les notions importantes à respecter lors de celui-ci :
・le recours au télésoin relève d’une décision partagée et peut concerner l’ensemble des patients préalablement connus par l’orthoptiste cependant les actes de bilans ne peuvent pas être réalisés par ce biais ;
・l’orthoptiste ne peut exercer une activité exclusive de télésoin (les actes de télésoin ne doivent pas dépasser 20 % de l’activité globale annuelle), doit respecter le principe de territorialité (le recours à des soins en présentiel doit être possible) et être en mesure de proposer une alternative au télésoin qui soit adaptée au patient (soin à domicile, prescription médicale de transport. . .) ;
・le télésoin est obligatoirement réalisé en vidéotransmis-sion dans un lieu qui permet le respect de la confidentia-lité (aussi bien pour le patient que pour l’orthoptiste) et des conditions adaptées au soin. Le rapport de l’HAS précise que l’utilisation du téléphone ne doit se faire qu’en dernier recours (patient malvoyant, en zone blanche. . .) ;
・les actes de télésoin orthoptique sont cotés de la même façon que les actes classiques à l’aide des lettres clés TMY. La présence d’un accompagnant dans le cas des patients mineurs est nécessaire (personne dépositaire de l’autorité parentale ou majeur autorisé) et recommandée dans le cas de patients en situation de handicap (présence d’un aidant), non-francophone (présence d’un interprète…
A cela, on peut plus spécifiquement ajouter quelques recom-mandations propres aux outils de rééducation utilisés dans le cadre du télésoin. Idéalement, ces outils doivent permettre :
・de contrôler l’exposition en restreignant l’accès de l’outil aux activités de télésoin ;
・de contrôler le contenu proposé au patient afin de l’adapter au contexte de la prise en charge ; de suivre et tracer l’évolution en documentant dans le dossier patient ses performances lors des séances ;
・des interactions en permettant par exemple d’adapter en temps réel la nature et les difficultés des exercices au niveau du patient.
LE TÉLÉSOIN ORTHOPTIQUE DANS LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE
La littérature scientifique concernant le télésoin orthoptique est peu abondante et ne contient aucune référence à la prise en charge des troubles de la vision binoculaire, de l’amblyopie ou des troubles spécifiques des apprentissages. Aucune publication française n’a été retrouvée sur PubMed. Une fois exclus les articles concernant la prescription d’une correction optique ou la surveillance d’une pathologie ophtalmologique, les articles étudiant le télésoin concernent majoritairement la prise en charge des patients déficients visuels [10–15] et conclut à une utilisation de cette pratique particulièrement chez des sujets jeunes ou d’âge moyen, avec pour objectif l’apprentissage de l’utilisation des dispositifs grossis-sants et ce avec une efficacité similaire à la prise en charge en cabinet.
INDICATIONS ET CONTRE-INDICATIONS DU TÉLÉSOIN ORTHOPTIQUE
Les résultats tirés de la littérature et les premiers retours d’expérience de télésoin dans d’autres disciplines paramédi-cales permettent de définir des contextes dans lesquels le recours à celui-ci est une indication particulièrement adaptée.
・C’est le cas dans les situations d’éloignement/isolement géographique, la distance entre le cabinet et le domicile du patient est une condition favorisant le recours au télésoin. Toutefois, même pour des distances courtes l’isolement géographique lié à l’absence de transports en commun et/ou à l’incapacité d’utiliser un véhicule personnel doivent aussi être considérés comme des conditions pouvant ame-ner à proposer le télésoin.
・Une autre indication exemplaire concerne les patients pré-sentant une mobilité réduite et/ou dans un contexte d’iso-lement social. Dans ces cas, le transport peut être pris en charge par la sécurité sociale via une prescription médicale de transport. Cependant, cela engendre un coût conséquent pour la sécurité sociale, en 2022 les dépenses des trans-ports sanitaires s’élevaient à 6 milliards d’euros [16]. Le recours au télésoin pourrait permettre de réduire les coûts du transport sanitaire en France.
・On peut également citer le cas des patients qui ne rencon-trent pas de difficultés de déplacement mais qui, du fait de leurs horaires professionnels, peuvent être amenés à ne pas effectuer une rééducation.
Certaines situations paraissent moins propices au recours au télésoin orthoptique.
・C’est par exemple le cas du suivi d’amblyopie, rien ne s’oppose a priori à ce qu’il soit réalisé de cette façon, tou-tefois le fait qu’il concerne des enfants et qu’il nécessite la mesure de l’acuité visuelle rend sa mise en oeuvre complexe et ne permet pas de garantir la qualité du soin.
・De manière générale, en plus des bilans qu’il est interdit de réaliser en télésoin on peut également ajouter la totalité des actes orthoptiques requérant une mesure (champ visuel, dépistage, vision des couleurs, etc.).
LIMITES ET ÉCUEILS CONCERNANT LA PRATIQUE DU TÉLÉSOIN ORTHOPTIQUE
Tout logiciel de rééducation orthoptique destiné à une utilisa-tion en télésoin devrait être un dispositif médical bénéficiant d’un marquage CE et ce afin d’assurer la qualité et la sécurité du soin. Il est également important de noter que le logiciel utilisé pour la vidéotransmission doit répondre aux exigences du référentiel d’interopérabilité et de sécurité des dispositifs médicaux numériques, c’est le cas par exemple des logiciels proposés par Doctolib, Maiia, Livi ou encore Qare.
Le rapport publié par le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) sur le mésusage de la télémédecine [17] précise que le soin doit pouvoir être réalisé dans les mêmes conditions d’exigence qu’un soin en présentiel (bonnes conditions de communication et bonne compréhension du patient). Le CNOM met également en garde sur l’exercice de la télémédecine via des plateformes commerciales, plus particulièrement celles qualifiées d’offreurs de soins qui met-tent en relation un professionnel de santé et un patient. Ces plateformes proposent un mode de fonctionnement qui conduirait à contrevenir aux bonnes pratiques de la télé-santé notamment aux principes légaux de connaissance préalable du patient, de territorialité et d’alternance entre soin en présentiel et à distance.
Bien que l’orthoptie ait été pionnière dans la télésanté, le télésoin semble rencontrer des difficultés à s’inscrire dans la pratique courante. Un rapport de l’ARS Bretagne [18] dénombre 0 TMY pour les années 2020 et 2021 et seule-ment 13 TMY pour 2022 ce qui est paradoxal lorsque l’acte de télésanté paramédical le plus réalisé dans la région est le RNM (41,1 % en 2022). Une explication qui pourrait être proposée à ce désamour du télésoin serait l’offre en termes de logiciels de rééducation adaptés à celui-ci qui reste encore limitée et le modèle médico-économique encore à trouver.
CONCLUSION
En conclusion, le télésoin orthoptique français n’en est encore qu’à ses balbutiements. Le cadre légal existe et les recommandations de bonnes pratiques ont été émises. Le réseau internet devrait être suffisamment développé dans les prochaines années pour assurer que les patients puissent accéder au télésoin sur l’ensemble du territoire. L’élément qui paraît être un frein à la généralisation du télésoin semble être le manque d’offres de logiciels orthoptiques qui permet-tent d’avoir recours à celui-ci. Souhaitons que cette lacune soit vite comblée afin que l’orthoptie puisse continuer à être un acteur majeur de la télésanté en France.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
RÉFÉRENCES
[1] Décret no 2021-707 du 3 juin 2021 relatif à la télésanté. 2021- 707 juin 3, 2021.
[2] Chapitre VI : Télésanté (Articles L. 6316-1 à L. 6316-2) – Légi-france [Internet]. [cité 12 oct 2023]. Disponible sur : https://www. legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072665/ LEGISCTA000020891315/#LEGISCTA000038887063.
[3] Décret no 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid- 19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. 2020-293 mars 23, 2020.
[4] Arrêté du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé – Légifrance [Internet]. [cité 12 oct 2023]. Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/ JORFTEXT000042106233.
[5] Arrêté du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales néces-saires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.
[6] Arrêté du 3 juin 2021 définissant les activités de télésoin.
[7] Chapitre VI : Télésanté (Articles R. 6316-1 à R. 6316-6) – Légi-france [Internet]. [cité 23 juin 2023]. Disponible sur : https://www. legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072665/ LEGISCTA000022933195/#LEGISCTA000043600563.
[8] Haute Autorité de Santé [Internet]. [cité 23 juin 2023]. Qualité et sécurité du télésoin : critères d’éligibilité et bonnes pratiques pour la mise en oeuvre. Disponible sur : https://www.has-sante.fr/jcms/ p_3240878/fr/qualite-et-securite-du-telesoin-criteres-d-eligibilite- et-bonnes-pratiques-pour-la-mise-en-oeuvre.
[9] Avis du 28 octobre 2021 relatif à l’avenant no 14 à la convention nationale organisant les rapports entre les orthoptistes libéraux et l’assurance maladie signée le 19 avril 1999.
[10] Bittner AK, Yoshinaga PD, Rittiphairoj T, Li T. Telerehabilitation for people with low vision. Cochrane Database Syst Rev [Internet] 2023 [Issue 1 Art. No.: CD011019, cité 23 juin 2023. Disponible sur : https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD011019.pub4/full].
[16] Les dépenses de santé en 2022 – Résultats des comptes de la santé – Édition 2023 j Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques [Internet]. [cité 13 oct 2023]. Disponible sur : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications- communique-de-presse-documents-de-reference/panoramas- de-la-drees/les-depenses-de.
[17] Conseil National de l’Ordre des Médecins [Internet]. 2021 [cité 13 oct 2023]. Téléconsultation : comment éviter les mésusages. Disponible sur : https://www.conseil-national.medecin.fr/lordre-medecins/conseil-national-lordre/sante/telemedecine/ teleconsultation-eviter-mesusages.
[18] Télésanté Bretagne [Internet]. [cité 13 oct 2023]. Les chiffres clés – TDB Région. Disponible sur : https://www.telesante- bretagne.fr/la-telesante/les-chiffres-cles/.
Pour citer cet article : Fantou P. Télésoin orthoptique en France : cadre légal, revue de la littérature et indications. Revue francophone d’orthoptie (2024), https://doi.org/10.1016/j.rfo.2024.01.008